Oeuvres de Georg-Friedrich Haendel

Œuvres enregistrées en Juillet 1981 sur le clavecin Ruckers-Tasquin (de 1746 - 1780) et le clavecin Goujon du Musée Instrumental du Conservatoire de Paris par Huguette Gremy-Chauliac.


La Water Music de Haendel aurait été donnée pour la première fois à la mi-juillet 1717 lorsque Georges 1er décida de se rendre en bateau, accompagné de quelques intimes, du palais de St James à la villa de l'ancien Lord Ranelagh à Chelsea où Madame de Kielmansegg devait offrir un souper.

En bons commerçants, Haendel et son éditeur Walsh mirent la partition à la portée des amateurs en la transcrivant pour clavecin (1747). Walsh, d'ailleurs était coutumier de pareilles "réductions d'orchestre". Dès qu'un Opéra de Haendel rencontrait quelques succès, il en publiait les airs :"Ouverture and Song Tunes with their Symphonies, for a simple flute ; and the Duets for two flutes", comme il annonce le 19 mai 1722 après la création le 9 décembre précédent - de Floridante.
Même empressement l'année suivante avec Ottone, créé le 12 janvier 1723 et dont certaines arie sont publiées dès le 19 mars - deux mois plus tard !

Ses publications, en fait, répondaient aux désirs du public - des "connoisseurs"- bien obligé en ces temps privés de radio et de disques compacts, de jouer par lui-même la musique qu'il voulait découvrir. La tradition restera vivace jusqu'à l'apparition du phonographe... La première mention de la musique transcrite pour clavecin ou remontent au 1er décembre 1720 : ce jour-là, Walsh publie un troisième recueil de "Lessons" intitulé "The Lady's banquet" et où les deux premiers numéros sont des "minuets by Haendel" (sic) - le premier étant comme "A Trumpet Minuet by Mister Hendel" (sic), le second comme un "Minuet for the French Horn".

Par la suite, on retrouve d'autres extraits de la Water-Music dans des recueils qui se donnent toujours de beaux titres :
"The Female Parson, or The Beau in the Sudds" ; "The New Country Dancing Master" ou autres "Banquets des Dames"...

Le 7 décembre 1734, on peut lire dans le Craftsmann une liste des ouvrages de Haendel mis en vente  : Le VI° volume mentionne "The Water Music, in seven parts". Enfin en 1734, le 26 février, le "London Daily Post" annonce la publication intégrale de la partition, établi ("set") pour clavecin.

"Intégrale" ? Pas exactement : il y manque de curieusement une des pages les plus réussies - et populaires - de l'oeuvre : l'Allegro final de la suite en fa, heureusement restitué par Madame Huguette Grémy-Chauliac, le présent enregistrement.

Ce qui nous émerveille aujourd'hui c'est que le passage d'un orchestre à un simple clavecin n'a trahi ni l’œuvre, ni sa beauté foncière, ni notre enthousiasme : preuve de la qualité exemplaire de la partition originelle. Sans doute y contribue l'emploi de deux superbes instruments (le Ruckers, 1646, ravalé en 1746 par Blanchet ; un instrument du "célèbre Goujon" datant des années 1740 environ). Sans doute aussi le jeu poétique, subtilement coloré et rythmé de l'interprète.

Mais le grand mérite de cette réussite éclatante reste bien évidemment à Haendel.

Dès l'ouverture de la suite en fa, véritable hommage à l'art Versaillais, on admire ces oppositions rythmées et contrapuntiques qui rappellent l'art du concerto grosso, étudié par le compositeur en Italie, entre 1706 et 1710.

Même plénitude dans l'Adagio e staccato, magnifique arioso pourront y suivre un triomphant Allegro  à 3 temps et un andante à 4, de formes A-B-A. Après un Passepied de 3/8 avec Trio en mineur, viennent un Air au balancement subtil, un Menuet dont la partie centrale se déroule en une superbe atmosphère nocturne, tandis qu'éclatent la franchise, la "bonne santé" des Bourrée et Hornpipe, la joie roborante de l'Allegro final.

Après ce somptueux arc-de-triomphe, la suite en sol apparaît plus intime : c'est en effet une musique de salon, destinée à flatter les oreilles de convives attablés. D'où son caractère plus tendre et ce "ton de la conversation" que s'établi entre les lignes, les instruments ; d'où cette poésie nocturne et discrète qui ourle ses quatre mouvements, emprunté à des danses aristocratiques : Sarabande, Rigaudon (I et II), enfin Contredanse, typiquement anglaise puisque dérivée de la "Country Dance"...

La troisième suite en ré retrouve l'éclat de la première et l'atmosphère des "musiques de plein air" : Fanfare, puis Hornpipe dont le thème ascendant semble vouloir conquérir le monde. Viennent alors un menuet, puis un Lentement aux beaux effets d'écho. Enfin, une Bourrée pleine de brio, qui termine cette partition éclatante dans une joie typiquement de haendelienne.

Ce n'est d'ailleurs pas le moindre paradoxe que pareille page, née pour une société aussi aristocratique, soit devenue, par la force même de son rayonnement, et à tous les sens du terme, aussi "populaire"...

Jean Gallois